Il y a des jours, comme ça, ou tout va mal
publié le 8 février 2024
Tout avait pourtant bien commencé
ce jour-là à l’atelier d’écriture, jusqu’à ce que Éric suggère un nouvel exercice.
Il avait manifestement préparé son coup.
C’est avec gourmandise qu’il partage son document.
Il en a prévu un exemplaire pour chacun.
Il tente quelques explications que nous comprendrons plus tard.
Nous découvrons l’autobiographie
d’un malfaiteur rédigée en ARGOT fin XIXème.
Ne doutant de rien, il ajoute :
« veuillez traduire le texte suivant en français. »
un texte dense
Vous me droguez de vous bonnir en bigorne comment je suis devenu pègre et surineur et comment j’ai été paumé marron par la rousse et les cognes en train de faire un choppin.
Étant gosse j’ambiais dans la cambrouse pourdéflorer la picouse avec les camerluches. Mon dab m’a refilé plus d’une purge et un bath reluit, je n’ai plus rappliqué à la piaule quand ma dabuche est conie. J’ai été affranchi par les grinches qui élaient mes fanandes, j’ai commencé par rincer les bagnoles des lartonniers et j ‘ai fait les cambriolles au fric frac.
un vocabulaire imagé
J’enquillais par les vanternes pour barbotter la camelote et affurer de la thune. Une sorgue j’ai été pomaqué et enflaqué dans une rafle, mais on m’a défourraillé au reluit, j’ai seulement coqué le taf. J’ai alors conobré des amarres d’attaque et mariolles, J’avais dix-sept brisques, je voulais maquiller le truc pour acquiger la Blanquette, mes ripatons dégueulaient et mes frusques étaient boulinées.
En jaspinant avec mézigue, un aminche d’aff me jacle que si je veux turbiner il me fera conobrer
on croit comprendre parfois
une gance chouette, des grinchisseurs au fric frac, des passeurs de galette à la manque, des valtreusiers, je lui dis: « gy ». Il m’a conduit dans un bouzingot, on a pitanché de la moussante et on s’est cinglé le blair.. N’ayant plus le rond, j’ai embardé dans une carrée où j’ai grinchi du plâtre que j’ai coqué dans ma profonde. J’étais à la bonne, je me suis collé avec une franche largue qui trimardait dans le trèpe et connobrait le turbin ; je lui refilais des châtaignes quand elle rappliquait pas chez le bistro avec la galette des miches. Elle était bath au pieu et gironde, la goncesse.
lorsque c’est bien expliqué
J’avais des fringues d’altèque et du pèze dans ma fouillouse. Un sorgue, ma marque a acquigé un bog et une bride en jonc et j’ai été les laver chez le fourgat qui n’a pas voulu me foncer du michon. J’ai nourri un poupard avec des poisses de la gance, j’ai aboulé le sucre de pomme et le rossignol, et j’ai filé le luctrème pour enquiller dans une cambuse où j’ai dégoté trois fafiots de mille balles, j’ai été pigé et sapé à cinq berges de centrouse, malade pendant une longe, j’ai fait la cavale.
Après l’exercice tout s’éclaire
Éric nous commente le texte accompagné d’un dictionnaire sur lequel il a travaillé pour nous rendre la compréhension plus accessible.
Bonne nouvelle il nous a préparé un dictionnaire
/Droguer– Attendre, Demander
/Bonnir– Raconter, Parler
/Bigorne– Argot
/Pègre – Voleur
/Surineur– Assassin
/Paumé marron– Pris en flagrant délit
/Rousse– Police
/Cogne – Gendarme
/Faire un chopin– Connaître une femme
/Gosse – Enfant
/Ambier – Aller (Fuir)
/ Cambrouse – Campagne, Banlieue de Paris
/Déflorer la picouse – Voler le linge qui sèche sur une haie
c’est très détaillé
/Camerluches – Amis
/Dab– Père, Patron
/Refiler– Donner, Rendre
/ Refiler une purge– Battre
/Bath– Beau, Bien (faite bath/arrêter un voleur)
/ Reluit– Jour, Œil
/Rappliquer- Rentrer, Revenir
/ Piaule– Maison, Chambre
/Dabuche– Bourgeoise, Mère
/Cornir– Tuer
/Affranchir– Pervertir, Donner des leçons de vol
/Grinche– Voleur
/Fanande– Camarade
/Rincer– Dépouiller, Battre
/Bagnole– Charette, Voiture
/Lartonnier– Boulanger
/Cambriolle– Chambre
/Fric-frac– Effraction
/Enquiller– Entrer, Avoir un emploi
/Vanterne– Fenêtre, Lanterne
/Barbotter- Fouiller dans les poches, Voler
/Camelote– Marchandise
/ Affurer– Se procurer
/Thune– Argent
/Sorgue– Nuit
/Pomaquer– Prendre
/Enflaquer– Emprisonner
/Rafle– Prise, Butin
/Défourailler– Sortir de prison
/Reluit– Jour
/Coquer le taf – Faire peur
/Conobrer– Connaître
/Amarre– Ami, Connaissance
/Attaque- Vigoureux
/Mariolle– Rusé
/ Brisque– Année
mieux que le Larousse (le petit)
/Maquiller le truc– Exercer son talent pour faire le mal
/Acquigner– Obtenir
/Blanquette– Argenterie, Argent
/Ripaton– Chaussure, Soulier rapiécé
/Frusques boulinées– Vêtements déchirés
/Jaspiner– Causer, Bavarder
/Mézigue– Moi
/Aminche d’aff– Complice
/ Jacler, Jacter– Causer, Parler
/Turbiner- Travailler, Gagner sa vie par tous les moyens
/Conobrer– Connaître
/Gance– Mauvaise compagnie, Réunion de malfaiteurs
/Chouette– Bien, Qui appâte
/Grinchisseur– Voleur
/Fric-Frac– Effraction
/Passeur de galette à la manque– Individu qui n’a pas d’argent
/Valtreusier– Voleur de valises
/Gy– Soit
/Bouzingot – Cabaret de bas étage
/Pitancher– Boire
/Moussante – Bière
/Se singler le blair– Se griser
/Rond– Sou
la traduction est bienvenue
/Embarder dans une carrée– Violer le domicile
/Grinchir du plâtre– Voler de l’argent
/Coquer dans sa profonde– Mettre dans sa poche
/Être à la bonne– Vivre plaisamment
/Se coller– Se mettre en ménage sans se marier
/Franche largue– Reine des femmes de voleur
/Trimarder– Marcher
/Trèpe– Foule
/Connobrer– Connaître
/Turbin– Travail
/Aller au turbin– Aller travailler (pour une prostituée)
/Refiler– Donner
/Châtaignes– Gifles
/Rappliquer–Revenir
/Bistro– Marchand de vin
/Galette des miches– Argent de la prostitution
/Bath– Bien
/Pieu– Lit
/Gironde– Jolie, Mignonne
/Goncesse– Femme, Maîtresse
/Fringues– Vêtements
/Altèque– Beau
/Pèze-Argent
/Fouillouse–Poche
/Sorgue– Soir, Nuit
les mots parlent d’eux-mêmes
/Marque– Femme, Prostituée
/Acquiger– Prendre, Voler
/Bog– Montre
/Bride– Chaîne de montre
/Jonc– Or
/Laver– Vendre
/Fourgat– Receleur
/Foncer– Payer
/Michon– Argent
/Nourrir un poupard– Combiner un vol
/Poisse– Voleur, Crapule
/Ganse– Réunion de malfaiteurs
/Abouler– Prendre
/Sucre de pommes– Pince à effraction
/Rossignol– Fausse clé
/Filer le luctrème– Introduire une fausse clé dans une serrure
/Enquiller– Entrer
/Cambuse– Logis, Petite maison
/Dégoter– Trouver
/Fafiot– Billet
/Balles– Francs
/Piger– Arrêter
/Saper– Condamner
/Pige– Année
/Centrouse– Prison centrale
/Longe– Année de prison
/Faire la cavale– S’évader
Et pour celles et ceux qui n’ont pas osé le demander
Sentant une profonde soif de connaissances parmi ses interlocuteurs,
Éric tente une autre approche pédagogique.
Pour nous, il essaie de replacer l’argot dans son contexte historique et social.
L’argot pour les nuls
L’argot est qualifié comme un vocabulaire, une syntaxe et une habitude de langage propre à un milieu fermé, dont certains mots passent dans la langue commune.
Il est inutile de chercher les origines de l’argot. Ce qu’il faut reconnaître et simplement constater, c’est qu’il est des plus anciens. Il existe depuis la création des associations de filous, de voleurs et de mendiants. Ils avaient en effet besoin d’un langage conventionnel pour se comprendre entre eux, sans que le vulgaire non initié pût saisir le véritable sens de leurs conversations.
on se sent moins nul
Au XVème siècle, François Villon a composé six ballades, sous le litre de Jargon ou Jobelin.
Le mot jargon est très ancien (XIIIème siècle). Il signifie : langage incompréhensible : » Il n’y a ne beste n’oyseau « Qu’en sou jargon ne chante et crie… (Charles d’Orléans, rondeau)
Au XVIème siècle, l’argot avait pris une telle extension que l’on songea à codifier ce langage et à l’unifier. Ce travail fut confié aux archi-suppots, titre que
prenaient les cagoux, principaux officiers du roi des Truands.
Le plus ancien ouvrage connu qui ait été fait sur l’argot est intitulé : « La Vie généreuse des Mercelots, gueux et boesmiens », par Pechon de Ruby en 1596. Puis, entre 1617 et 1626 parut « Le jargon ou le langage de l’argot réformé à l’usage des Merciers porte balles et autres tiré et recueilli des plus fameux argotiers de ce temps ».
le peuple ? oui le peuple
C’est le peuple qui est le véritable créateur de la langue, c’est lui qui trouve chaque jour des mots nouveaux pour exprimer sa pensée et ce qu’il recherche avant tout, c’est la figure qui frappe, l’image qui détermine l’objet ou la chose qu’il veut désigner. Il cherche à se dissimuler avant tout à ceux qui ne font pas partis du groupe ( slang en Angleterre, créole des esclaves, verlan des banlieues).
L’argot étant l’idiome de la corruption, de l’altération, il se corrompt vite lui-même. Comme il cherche toujours à se dérober, sitôt qu’il se sent compris, il se transforme : aussi l’argot va-t-il se décomposant et se recomposant sans cesse.